Dans un frémissement d'air, l'Ombre se laissa fondre sur sa proie. Kröne entendit à peine un chuintement dans la nuit finissante, pourtant, d'un bloc, elle se retourna et, levant haut son dard d'ivoire, se prépara au choc. Sa peur, elle l'avait terrassée, comme elle s'apprêtait maintenant à terrasser son persécuteur volant. La quasi-certitude de ne pas voir l'aube prochaine avait galvanisé ses dernières forces, potentialisé sa haine. Sa haine pour ceux qui l'avaient maltraité sa vie durant pour finalement la rejeter… Sa haine pour la Famille ! Ce n'était plus l'Ombre qu'elle se préparait à affronter, c'était la Famille tout entière ! Le choc fut terrible… Surprise d'une si vive résistance, l'Ombre baissa sa garde. Une seconde ! Qu'était une seconde en regard de l'abîme des siècles innombrables qu'elle venait de traverser ? Rien sans doute qu'une infime fraction d'éternité. Laquelle suffit pourtant à Krône pour enfoncer sa "dent de sabre" dans la poitrine découverte ! La pointe d'ivoire trouva le cœur et s'en rassasia. Krône frappa et frappa encore, sans souci des griffes qui la lacéraient, sans souci des crocs qui la déchiraient, elle frappait. L'Ombre sentait sa vie s'écouler avec son sang. L'aube allait se lever, la découvrir exsangue, sans force, et ne lui laisserait pas le temps de se régénérer… Krône n'arrêta de frapper que longtemps après que l'Ombre eut cesser de bouger. Elle alla jusqu'à un cours d'eau qui bruissait non loin, couvrit ses blessures de boue pour arrêter l'hémorragie, puis revient vers le monstre vaincu. Dans le clair-obscur de l'aube naissante, Krône le regarda. Ce qu'elle avait d'abord pris pour des ailes était une sorte de membrane que la créature portait sous les bras. Et son épaisse toison le classait indubitablement dans l'ordre des mammifères. Krône se sentit soudain si faible qu'elle perdit conscience un bref instant. Elle se traîna vers la carcasse, sa bouche rampa sur le torse puissant jusqu'aux plaies béantes d'où un riche liquide jaillissait encore. Krône le bu avidement, s'en rassasia jusqu'à la dernière goutte. Puis, de la pointe affûtée de sa "dent de sabre"", elle écorcha la créature et lui ravit sa fourrure.